Le secteur bancaire européen doit faire face à une nouvelle étape de réforme prudentielle, incarnée par le règlement CRR3, qui introduit des contraintes plus strictes et redéfinit les équilibres dans le calcul du risque.
Nous allons d’abord expliquer ce qu’est le CRR3, son origine dans Bâle III, puis détailler les principales innovations (output floor, restriction des modèles internes, approche standard, risques opérationnels, succursales de pays tiers, etc.). Nous aborderons ensuite sa mise en œuvre, les implications pour les institutions financières et les défis à relever dans la gestion des risques.
Vous disposerez ainsi d’une vision claire des nouveaux ratios, des nouvelles méthodes de calcul du risque et des impacts attendus — éléments indispensables pour anticiper la conformité réglementaire dans les banques.
Découvrez notre article sur les accords de Bâle III.
En résumé
| Définition | CRR3 est le nouveau règlement européen de fonds propres, dans le cadre CRR III / CRD VI, transposant les derniers standards de Bâle III. |
| Dates clés | Publication : 19 juin 2024 ; Application : 1er janvier 2025. |
| Objectifs | Renforcer la résilience des banques, limiter les biais des modèles internes, homogénéiser le calcul du risque, intégrer ESG, encadrer les succursales de pays tiers. |
| Output floor | Plancher imposé : le capital calculé via modèles internes ne doit pas être < 72,5 % du capital selon l’approche standard, appliqué progressivement. |
| Risque de crédit | Nouvelle approche standard + limitation des modèles internes, granularité accrue, traitement spécifique des expositions immobilières (ADC). |
| Risque opérationnel | Passage à une approche standardisée unique, suppressions ou limitations des modèles internes. |
| Risque de marché / FRTB | Normes FRTB intégrées, mais mise en œuvre différée au 1er janvier 2026. |
| Succursales de pays tiers | Nouvelles contraintes sur les succursales non-européennes, application prévue à partir de 2027. |
Qu’est‑ce que le CRR3 ?
- Origine du CRR3 :
Le sigle CRR3 signifie Capital Requirements Regulation 3. Il désigne le Règlement (UE) modifiant le règlement 575/2013 relatif aux exigences de fonds propres des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, dans le cadre du « paquet bancaire » européen CRR III / CRD VI.
Le 19 juin 2024, le texte de la Regulation (EU) 2024/1623 a été publié au Journal Officiel de l’Union européenne, modifiant les règles relatives au risque de crédit, au risque de marché, au risque opérationnel, au CVA (credit valuation adjustment) et introduisant l’output floor.
CRR3 constitue la transposition européenne des normes de Bâle III finalisé (parfois aussi appelé Bâle IV ou Bâle “réforme finale”) dans le contexte du droit de l’Union. Ses dispositions principales ont commencé à devenir applicables à partir du 1er janvier 2025 pour les établissements visés.
En bref, le CRR3 complète et renforce le cadre prudentiel déjà établi (CRR, CRR2, CRD4, CRD5) en introduisant des ajustements nouveaux destinés à améliorer la stabilité du système financier.
- Contexte : le cadre Bâle III et les limites du système existant
Les accords de Bâle III, adoptés progressivement après la crise financière de 2008, visaient à renforcer la qualité et la quantité des fonds propres des banques, à introduire des ratios de liquidité (LCR, NSFR), et à limiter le levier financier. Le CRR (EU) et la directive CRD constituèrent les instruments européens pour transposer ces normes.
Cependant, des critiques et des faiblesses ont été relevées : la grande variabilité dans le calcul des actifs pondérés par les risques (RWA) selon les modèles internes et le biais procyclique des approches internes. Il est apparu que certaines institutions bénéficiaient d’un avantage excessif en réduisant leurs besoins en capital via des modèles internes favorables.
La Commission européenne, en coordination avec l’Autorité bancaire européenne (EBA) et le Comité de Bâle (BCBS), a estimé nécessaire de calibrer des règles plus homogènes, plus robustes et de limiter les dérives. Le paquet CRR3 / CRD6 incarne cet effort de renforcement du cadre réglementaire européen.
Les principales innovations du CRR3
Le CRR3 introduit plusieurs réformes majeures de la réglementation prudentielle bancaire, qui portent notamment sur :
1. L’output floor
L’une des mesures phares de CRR3 est l’inscription d’un plancher de capital, appelé output floor : il fixe une limite inférieure aux gains que les banques peuvent obtenir en appliquant des modèles internes par rapport à une approche standard.
Concrètement, le capital calculé via modèles internes ne peut pas être inférieur à 72,5 % du montant de fonds propres requis selon l’approche standardisée.
Ce plancher s’applique à tous les niveaux de consolidation (groupe), sauf exceptions prévues (dérogations) au niveau local ou individuel dans certains cas prévus à l’article 92(3) du CRR3.
Une application progressive a été décidée avec une période de transition (avec un lissage intertemporel) pour éviter un bouleversement trop brutal.
L’output floor renforce la discipline dans l’usage des modèles internes en limitant leur avantage potentiel, ce qui contribue aussi à la réduction de la dispersion entre institutions dans le calcul du risque.
2. Revisiter le risque de crédit
CRR3 procède à une refonte des expositions de crédit :
- L’approche standardisée est rendue plus fine, avec des classes d’exposition plus granulaires, davantage de sensibilité au risque.
- Les classes d’actifs immobiliers (notamment acquisition, développement, construction — ADC) reçoivent un traitement particulier (avec possibilité d’un poids de risque de 100 % sous conditions, au lieu de 150 %) via des lignes directrices (guidelines) de l’EBA.
- L’usage des modèles internes (IRB) est limité pour certaines catégories d’exposition (par exemple, les actions). Certaines méthodes internes sont restreintes ou supprimées dans des cas où elles donnent des résultats trop optimistes.
- De nouvelles rubriques de reporting (templates EU CMS1 / CMS2) permettent de comparer les RWEA (risk‑weighted exposure amounts) selon l’approche standard et l’approche interne, ce qui est la base de l’output floor au niveau disclosure.
Cette redéfinition du calcul du risque de crédit vise à mieux refléter les risques réels et à limiter les différences d’évaluation entre banques.
3. Risque opérationnel
CRR3 remplace les anciens modèles internes sur le risque opérationnel par une nouvelle approche standard applicable à tous les établissements.
Cette nouvelle approche se fonde sur des indicateurs de taille, de revenus et de pertes historiques standardisées pour calibrer les exigences en capital. L’objectif est de rendre le calcul du risque opérationnel plus homogène entre institutions.
4. Risque de marché (et FRTB)
CRR3 prévoit l’adoption complète des normes du Fundamental Review of the Trading Book (FRTB), une refonte du traitement des expositions en trading, pour mieux capturer le risque de marché.
Cependant, l’application du FRTB a été reportée d’un an, au 1er janvier 2026, afin d’harmoniser son application et donner aux institutions un temps supplémentaire d’adaptation.
5. Succursales de pays tiers / branches non européennes
CRR3 / CRD6 introduit des règles spécifiques pour les succursales de pays tiers opérant dans l’UE. Certaines dispositions seront applicables à compter du 11 janvier 2027 pour encadrer les activités cross‑border.
Notamment, les succursales de pays tiers pourraient être contraintes d’utiliser des normes de fonds propres locales ou d’observer des restrictions dans les activités de crédit, de dépôt ou garanties.
6. Autres mesures : disclosure, ESG, pouvoirs de supervision
- Le CRR3 renforce les obligations de transparence et de reporting (Pillar 3) : nouveaux formats, intégration de l’output floor dans les disclosures, comparaison entre internal et standard RWEA.
- Le règlement intègre davantage la prise en compte des risques ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans la régulation prudentielle.
- Le cadre supervisionnel (pouvoirs des autorités, sanctions, exigences de gouvernance, « fit & proper ») est modernisé dans CRD6, en parallèle à CRR3.
Mise en œuvre : étapes, calendrier et formations
La date clé à retenir est le 1er janvier 2025, moment où la majorité des dispositions de CRR3 sont entrées en application pour les institutions financières européennes.
Toutefois, certaines dispositions ont démarré plus tôt (dès juillet 2024), tandis que d’autres sont soumises à des dispositions transitoires ou des phases d’implémentation différée. Par exemple :
- L’output floor sera progressivement mis en œuvre au cours d’une phase transitoire jusqu’à son niveau cible (72,5 %).
- Le FRTB est repoussé au 1er janvier 2026.
- Les succursales de pays tiers auront certaines obligations opérationnelles dès 2027.
- Les États membres devront transposer CRD6 dans leur droit national d’ici le 10 janvier 2026.
La Banque de France (via l’ACPR) rappelle que ce nouveau paquet bancaire CRR3 / CRD6 constitue la dernière étape de la transposition de Bâle III en droit européen.
Pour les établissements, la mise en œuvre impose une adaptation des modèles de calcul, des systèmes de reporting, de la gouvernance et de la gestion des risques.
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Impacts envisagés sur le calcul des risques et les ratios prudentiels
1. Augmentation des actifs pondérés par les risques (RWA)
Selon certaines estimations, pour les banques de la zone euro, l’adoption de CRR3 pourrait entraîner une hausse moyenne de 11 % des RWA (actifs pondérés par les risques). Pour les grandes banques systémiques, ce chiffre pourrait monter jusqu’à 15 %.
L’output floor joue un rôle de levier dans cette augmentation, car il limite les gains permis par des modèles internes faiblement calibrés.
2. Effet sur les ratios de capital (CET1, Tier 1, etc.)
La hausse des RWA provoque mécaniquement une pression à la baisse sur les ratios de fonds propres (CET1, Tier 1, ratio total), sauf que les banques devront ajuster leurs capitaux pour se conformer aux nouvelles exigences.
Certaines banques pourraient devoir mobiliser des capitaux additionnels ou revoir leur allocation d’actifs pour maintenir leurs ratios dans les marges réglementaires.
3. Réduction de l’avantage des modèles internes
Avec l’output floor, l’avantage relatif des modèles internes est réduit : le calcul du risque via approche standard (plus conservateur) devient plus influent dans le résultat final. Cela incite à privilégier une approche standardisée, plus simple à comparer entre institutions.
4. Impact sur la gestion des risques (risque opérationnel, risque de marché, risque de crédit)
- Risque opérationnel : la nouvelle approche standard impose aux banques de repenser leur modélisation, leur collecte de données et leurs modèles de stress tests internes.
- Risque de marché : avec le retard du FRTB, les banques disposent de plus de temps pour ajuster leurs modèles, mais doivent anticiper les nouveaux traitements.
- Risque de crédit : la granularité accrue dans le calcul des expositions (par exemple pour l’immobilier, les crédits aux entreprises, les titres) impose une révision des systèmes de notation interne et des processus de validation.
Enjeux et défis pour les institutions financières
– Adaptation technologique et systèmes de reporting : Les banques devront adapter leurs systèmes de reporting prudentiel, intégrer les nouveaux templates (EU OV1, EU CMS1/CMS2, EU KM1) et assurer la comparabilité entre modèles internes et approche standard.
La collecte des données, l’agrégation inter‑systèmes (risques de crédit, marché, opérationnel) et les nouvelles exigences de disclosure imposent une refonte des outils internes.
– Gouvernance, validation des modèles, contrôle interne : La restriction des modèles internes nécessite une gouvernance renforcée : validation par des comités spécialisés, contrôle de la qualité des données, audit interne, stress tests internes.
– Gestion de la transition et calibrage progressif : La phase transitoire de l’output floor oblige à calibrer l’impact sur le capital au fil du temps, à simuler les effets et à anticiper les besoins en capitaux.
– Arbitrages stratégiques : Les institutions devront arbitrer entre la complexité des modèles internes (potentiel de gain) et la simplicité, la robustesse et la comparabilité des approches standardisées.
– Conformité aux règles sur les succursales de pays tiers : Pour les banques opérant via des succursales non-européennes, l’obligation de conformité aux règles de CRR3 / CRD6 est un défi majeur, notamment en matière de restrictions d’activités cross‑border.
– Arbitrage entre rentabilité et exigences prudentielles : L’augmentation du capital requis pourra peser sur la rentabilité (ROE). Les banques devront repenser leur allocation d’actifs, leurs politiques de dividende, leur structure de financement.
Conclusion
Le CRR3 marque une étape décisive dans l’achèvement de la réforme de Bâle III et dans le renforcement de la stabilité du système financier européen.
Si ces nouvelles règles représentent un défi en termes de gestion des risques et d’augmentation des exigences de capital, elles constituent également une opportunité de renforcer la résilience et la transparence du secteur bancaire.
Dans ce contexte, s’appuyer sur une formation spécialisée et reconnue, comme celles proposées par First Finance, devient un levier stratégique pour maîtriser les subtilités de CRR3 et transformer la contrainte réglementaire en véritable avantage compétitif.
FAQ
C’est quoi le CRR3 ?
CRR3 (Capital Requirements Regulation 3) est un règlement de l’Union européenne modifiant le règlement (UE) 575/2013, publié le 19 juin 2024, qui introduit de nouvelles règles prudentielles (crédit, marché, opérationnel, output floor) pour les institutions de l’UE. Il est entré en application le 1er janvier 2025 (avec certaines dispositions anticipées ou différées).
Quels sont les principaux ratios prudentiels de Bâle 3 ?
Les principaux ratios prudentiels de Bâle III incluent :
- Le ratio CET1 (Common Equity Tier 1)
- Le ratio Tier 1 total
- Le ratio Total de fonds propres exigibles
- Le leverage ratio (ratio de levier non pondéré)
- Le Liquidity Coverage Ratio (LCR)
- Le Net Stable Funding Ratio (NSFR)
CRR3 agit principalement sur les exigences en fonds propres via le renforcement du calcul des actifs pondérés par les risques (RWA) et l’introduction de l’output floor.
Quelle est la nouvelle réglementation bancaire qui est entrée en vigueur en 2025 ?
La nouvelle réglementation est le paquet CRR III / CRD VI (CRR3 + CRD6). Le règlement CRR3 est entré en vigueur le 9 juillet 2024 mais est applicable depuis le 1er janvier 2025 pour la majorité des dispositions. Certaines dispositions sont différées (notamment FRTB au 1er janvier 2026, règles sur succursales de pays tiers en 2027).