Le « rachat » de Crédit Suisse par UBS : mais puisqu’on vous dit que ce n’est pas un « sauvetage » !
Fabrice GUEZ
Consultant
Date : 20 mars 2023

C’est la même chanson

Pour tous ceux qui se souviennent du week-end du 14 septembre 2008 où les banques s’étaient réunies à la FED pour essayer en vain de sauver Lehman Brothers, et pour ceux qui avaient connu le week-end du 23 septembre 1998, où encore une fois, les banques de la place s’étaient réunies pour sauver LTCM, le week-end du 18 mars 2023 sonnait comme une nième répétition de « il faut sauver le soldat Ryan ».

 

Finalement, au bout du suspense et à l’issue d’un week-end de tractations frénétiques menées par les régulateurs suisses pour sauvegarder son système bancaire, UBS a accepté de racheter Crédit Suisse pour 3 milliards de francs suisse et éviter, pour combien de temps encore, qu’une crise ne s’étende aux marchés financiers mondiaux.

 

Il aura donc fallu une semaine pour que l’institution zurichoise ferme ses portes. Ce qui est un rachat par UBS est évidemment une façon très polie de la part des autorités helvétiques d’éviter le terme honni de « bail-out ».

 

 

Le Deal

UBS va donc reprendre la banque suisse rivale Crédit Suisse pour un montant de trois milliards de francs suisses a déclaré Crédit Suisse dans un communiqué dimanche, à l’issue d’intenses négociations à Berne.

 

Tous les actionnaires de Crédit Suisse recevront une action de UBS pour 22,48 actions de Crédit Suisse en contrepartie de la fusion. Ce rapport d’échange reflète une contrepartie de fusion de trois milliards de francs suisses pour toutes les actions du Crédit Suisse. Le rapprochement donne ainsi naissance à l’un des plus grands établissements financiers en Europe puisque les actifs d’UBS s’élève à 1100 milliards de dollars et ceux du Crédit Suisse à 575 milliards de dollars.

 

La première offre d’UBS avait été le dimanche matin de 0,25 franc suisse pour une valeur d’environ 1 milliard de CHF, qui avait été rejetée par le conseil d’administration du Crédit Suisse. Rappelons que cette offre valorisait Crédit Suisse à 1/8 de sa valeur à la clôture des marchés vendredi soir.

 

Finalement, UBS paiera 3 fois plus, soit 0,76 franc suisse par action, pour une valeur de 3 milliards de francs suisses. Encore une fois, l’offre reste bien inférieure au cours de clôture du Crédit Suisse, qui s’élevait à 1,86 franc suisse vendredi.

 

Le président de Crédit Suisse Axel Lehmann dans le communiqué du rachat explique que : « Compte tenu des récentes circonstances extraordinaires et sans précédent, le Crédit Suisse n’est pas en mesure de faire face à la situation actuelle : ainsi, compte tenu des circonstances récentes, extraordinaires et sans précédent, la fusion annoncée représente la meilleure issue possible ».

 

Cet accord est évidemment historique. La vitesse avec laquelle il s’est conclu ne l’est pas moins.

 

Pour le faire passer, le Conseil Fédéral Suisse émettra une ordonnance d’urgence pour lever les obstacles réglementaires à la clôture rapide de la transaction.

 

Les parlementaires suisses devront approuver le processus, mais rétrospectivement car le vote aura lieu dans les six prochains mois, ce qui risque d’être assez musclé au vu des nombreuses questions que ce rapprochement implique en termes de concurrence et d’emplois.

Dans le cadre de l’accord, la Banque Nationale Suisse (BNS) a accepté d’offrir à UBS une ligne de liquidité de 100 milliards de francs suisses assortie d’une garantie de défaillance de la Confédération, a déclaré le Ministère Suisse des finances.

 

 

Pourquoi tant d’empressement ?

Peut-on se souvenir d’une faillite bancaire résolue en un seul week-end ? Quelles étaient les options des autorités suisses pour arrêter l’hémorragie ?

En fait, ils n’avaient pas vraiment le choix.

Car, en fin de compte, ce sont les clients de Crédit Suisse qui ont décidé de son sort lorsqu’ils ont retiré leurs fonds.

 

La fusion avec UBS est une solution naturelle qui était dans tous les esprits. Les autorités suisses seront peut-être critiquées parce qu’elles n’auraient pas fait davantage pour ouvrir l’appel d’offres à des acteurs non suisses, mais peut-on vraiment les blâmer ?

À la suite de cinq jours de tumultueuses discussions au cours desquelles les autorités suisses se sont empressées de mettre fin à une crise de plus en plus grave au sein de Crédit Suisse, ils trouvent une solution au drame qui menaçait de faire tomber la deuxième banque du pays.

En effet, rien ne semblait à même d’arrêter la chute brutale du cours de l’action, qui a été exacerbée par les turbulences plus générales du marché, causées par l’effondrement soudain de Silicon Valley Bank.

 

Ce rachat en 5 jours signifie la fin d’une banque vieille de 167 ans.

 

Il vient « couronner » des années calamiteuses pour le Crédit Suisse, marquées en particulier par la crise Archegos en 2021, qui avait entraîné des milliards de dollars de pertes et gravement entaché la réputation de la banque en matière de gestion des risques.

 

Car les problèmes datent de plus longtemps et la banque était déjà en difficulté bien avant cette semaine.

 

Ces dernières années, le Crédit Suisse a été en proie à des scandales et la banque a la réputation de naviguer trop près du bord, avec des contrôles internes terriblement laxistes.

 

Quand mardi, le principal investisseur de la banque – la Banque nationale saoudienne – a déclaré qu’il n’était pas prêt à injecter davantage de capitaux pour soutenir son bilan chancelant, ce ne fut que la dernière goutte qui a fait déborder le bol à fondue déjà bien rempli de la banque zurichoise.

 

La Banque centrale européenne ne s’y est pas trompé et a demandé jeudi aux prêteurs de l’Union européenne de divulguer le montant exact de leur exposition au Crédit Suisse. Pas forcément un signe qui a rassuré les marchés quant à la santé de la banque helvétique !

 

Toute la semaine, les sorties de liquidités et la volatilité du marché ont montré qu’il n’était plus possible de restaurer la confiance et qu’une solution rapide et stabilisatrice était absolument nécessaire.

 

Les clients ont retiré 111 milliards de francs suisses du groupe au cours des trois derniers mois de l’année dernière. Les seules sorties de fonds du Crédit Suisse ont dépassé les 15 milliards de francs suisses quotidiens à la fin de la semaine dernière.

 

Les CDS de Crédit Suisse avaient explosé jeudi atteignant le niveau inconnu jusque-là de 1000 bps. Expliquons ici que cela signifie qu’il fallait payer 10% de taux d’intérêt pour se couvrir contre le défaut de Crédit Suisse.

Et, même la gigantesque ligne de crédit d’urgence de 50 milliards de francs suisses n’avait pas réussi à calmer le marché.

 

Une contagion possible ?

Le 26 juin 1974, après avoir fait une série de mauvaises opérations sur les marchés des changes, la banque Herstatt se retrouvait avec des pertes de 470 millions de DM et s’était ainsi retrouvée en situation d’insolvabilité avant d’avoir pu régler ses comptes avec les banques de contrepartie, ce qui a mis en péril les fonds des clients.

 

La faillite de Herstatt a joué un rôle majeur dans la création des systèmes de règlement brut en temps réel et d’autres structures qui atténuent le risque de règlement.

Depuis, ce risque de contagion systémique a pris le nom de la banque pour s’appeler le risque Herstatt.

Alors, avons-nous trouvé avec Crédit Suisse un nouveau Herstatt ? Ou sommes-nous à l’abri d’une crise plus large qui se prépare dans le secteur bancaire européen ?

Il est certain que la faillite aurait pu entraîner d’énormes dommages collatéraux sur le marché financier suisse et un risque de contagion au niveau international.

Mais visiblement, tout le monde semble penser (ou en tout cas semble vouloir dire) que les problèmes de Crédit Suisse sont peut-être propres au Crédit Suisse.

 

Tout d’abord, la banque est depuis plusieurs années le dernier de la classe du secteur bancaire européen, après avoir subi de nombreux scandales, pertes, remaniements de direction et plans de restructuration.

Lorsque trois prêteurs américains de taille moyenne, dont la Silicon Valley Bank, se sont effondrés au début du mois à la suite d’un retrait rapide de l’argent des déposants, les investisseurs ont commencé à se demander quelles autres banques pourraient être vulnérables.

 

Crédit Suisse était la victime idéale. Le petit maigrichon à lunettes du fond de la classe.

 

Après avoir vu de riches clients retirer plus de 10 % de leur argent de son unité de gestion de fortune en l’espace de quelques mois l’an dernier, la banque a continué à subir des sorties de fonds avec une ruée sur les dépôts qui s’est accélérée la semaine dernière après que le président de la Banque nationale saoudienne a exclu (sans donner de véritable raison) de fournir au prêteur suisse une aide financière supplémentaire.

Ce n’est donc pas un hasard si Crédit Suisse est devenu la principale cible des marchés.

Empêtré dans cette série de scandales et de controverses en matière de gestion, on a parfois l’impression que son rapport annuel n’est rien d’autre qu’une longue liste de litiges, anciens et nouveaux, et la reconnaissance d’un mauvais contrôle des risques.

Ce bouleversement est donc en grande partie le résultat des difficultés rencontrées par la banque ces dernières années – qui la rendaient relativement vulnérable – et des inquiétudes des investisseurs quant à la santé des banques occidentales en général, suite à l’effondrement bancaire de la semaine passée.

 

Personne n’est à l’abri

Mais s’ils soulignent visiblement que le risque systémique était minime, dans le climat actuel de peur et d’incertitude, la saga de la banque Suisse a tout pour terriblement inquiéter les investisseurs mondiaux.

Car le marché bancaire est fragile et dans un contexte de marchés déstabilisés, il a suffi d’une déclaration maladroite de l’actionnaire principal du Crédit Suisse pour que le cours de l’action de la banque parte en vrille.

On parle plus ici d’une petite banque californienne mais bien d’un acteur mondial de niveau systémique, de sorte que le système financier dans son ensemble est confronté à un nouveau point de fragilité important.

 

La principale leçon que l’on pourra tirer de cette affaire est que personne n’est à l’abri.

 

Et, à long terme, cette histoire pourrait soulever des questions sur la stabilité financière de toutes les banques et le confort somme toute très relatif que nous donnent le respects des ratios bâlois.

Car cette affaire a été provoquée par la panique des marchés à l’égard d’une banque dotée de capitaux et de liquidités élevés et soutenue par l’autorité de surveillance peut-être la plus puissante du monde.

Un excès de volatilité, un défaut des procédures internes ou encore un nouveau trader fou peut mettre en péril la moindre institution financière.

D’une manière plus générale, la peur qui règne sur les marchés financiers risque de rendre les prêteurs beaucoup plus prudents, ce qui réduira les flux de crédit, augmentera le risque de récession et accroîtra le stress dans des secteurs déjà vulnérables tels que l’immobilier commercial – ce qui n’est pas une bonne chose pour les banques.

De plus, si les banques européennes sont incontestablement dans une position plus solide que lors de la crise précédente, cela ne signifie nullement qu’elles sont à l’abri des dernières turbulences.

Car il y a plusieurs raisons de s’inquiéter. Dans un premier temps, Crédit Suisse disposait également de ratios de capital et de liquidité sains – tous deux à peine inférieurs aux moyennes de la zone euro l’année dernière – mais cela ne l’a pas sauvé lorsque la confiance s’est évaporée.

Deuxièmement, les banques de la zone euro ne réalisent toujours pas suffisamment de bénéfices pour couvrir le coût de leur capital bâlois, ce qui signifie qu’elles ne sont pas toujours foncièrement rentables.

 

Alors, doit-on se méfier ?

 

On a bien vu cette semaine disparaitre en 5 jours une institution respectée créée il y a 167 ans.

Les régulateurs ont beaucoup travaillé sur ce sujet, mais tout cela reste encore et toujours terriblement fragile.