La crise de la dette américaine
Fabrice GUEZ
Formateur - First Finance
Date : 22 mai 2023

La Crise perpétuelle

Comme un éternel serpent de mer, la crise de la dette américaine revient encore une fois sur le devant de la scène financière, avec  des conséquences préoccupantes.

 

La dernière fois que la crise fut aussi sévère était en 2011, alors que Joe Biden était alors vice-président et le Congrès avait mené alors d’intenses débats et négociations sur le relèvement du plafond de la dette. Les discussions avaient alors porté sur des désaccords concernant la réduction des dépenses, les programmes de droits et les impôts.

 

En 2011, pour la première fois, l’impasse se prolonge et le fantôme d’un éventuel défaut de paiement se profile.

 

Le problème n’a été résolu qu’à quelques jours de l’échéance ultime, ce qui avait alors ébranlé les marchés boursiers et Standard & Poor’s en avait alors profité pour abaisser la note de crédit des États-Unis de AAA à AA+. La dégradation de la note de crédit avait eu alors pour premier effet d’augmenter la volatilité et l’incertitude sur les marchés.

 

L’impasse de 2023 pourrait bien être tout aussi dramatique.

 

 

Cassandre

La première à s’inquiéter est la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, qui a réitéré cette semaine son avertissement de l’imminence de la crise potentielle.

 

 

 

Le 19 janvier, elle annonce que le pays avait atteint son niveau d’endettement maximal (31,381 milliards de dollars) et qu’elle avait commencé à prendre des astuces comptables telles que le report des investissements dans les fonds de pension pour conserver des liquidités.

 

Ces mesures extraordinaires, mais devenues routinières, ont permis de reculer de plusieurs mois, ce que l’on appelle la « X-date« . Sa précédente analyse, publiée le 1er mai, avait indiqué que le Trésor pourrait se retrouver à court d’argent et que la « X-date » pourrait se situer en juin.

 

Pour rappel, la « X-date » est un raccourci pour « extraordinary date ».

 

Ce terme est généralement utilisé pour qualifier la date à laquelle les États-Unis atteignent leur plafond de la dette (debt ceiling) et représente ainsi le moment où le gouvernement américain n’a plus de ressources ou de liquidités pour répondre à toutes ses obligations financières, y compris les paiements des intérêts de la dette, les salaires des fonctionnaires, les prestations sociales, etc.

 

Puisqu’à la X-date, le plafond est atteint, le gouvernement se trouve dans une situation où il ne peut plus emprunter de nouveaux fonds sur les marchés financiers, et il dépend alors des rentrées fiscales en cours pour financer ses dépenses.

 

Dans sa nouvelle lettre du 15 mai, elle indique que le Trésor ne sera probablement plus en mesure d’honorer toutes les obligations du gouvernement si le Congrès n’a pas agi pour relever ou suspendre la limite de la dette dès le 1er juin.

 

Selon elle, les États-Unis ont déjà commencé à subir les conséquences de la crise du plafond de la dette car le gouvernement américain se retrouve déjà contraint d’emprunter plus cher : lundi, le taux d’intérêt des bons du Trésor à un mois qui était de 3,29% à la mi-avril, est ainsi monté à 5,75%, au plus haut depuis vingt ans.

 

Rajouté à ce renchérissement de la dette, elle ajoute que trop d’entreprises doivent passer du temps à se préparer à l’hypothèse d’un défaut du pays sur sa dette, et que trop de ménages doivent se préoccuper de savoir s’ils vont s’en sortir sans l’argent des subventions du gouvernement.

 

Janet Yellen a aussi déclaré que le défaut de paiement des États-Unis déclencherait une récession économique non seulement américaine mais bien mondiale.

 

 

Le Liquidity Management du Trésor

Car il faut bien se souvenir que le Trésor a pour mission de gérer les flux de trésorerie du gouvernement et surveille ainsi son solde de trésorerie disponible.

 

Il a donc recours aux techniques de Liquidity Management usuelles, c’est-à-dire des emprunts à court terme pour couvrir les déficits temporaires de trésorerie et maintenir la liquidité opérationnelle.

 

Dans certains cas, le Trésor met en œuvre des mesures extraordinaires, comme la suspension de certains investissements ou le recours à des manœuvres comptables, afin d’accroître la capacité du gouvernement à poursuivre le financement de ses activités lorsque le plafond de la dette est atteint.

 

La durée pendant laquelle ces mesures peuvent soutenir les opérations du gouvernement peut varier en fonction de plusieurs facteurs, notamment les circonstances spécifiques, les recettes et les dépenses.

 

 

La Buffer Period

En fin de compte, la buffer period (désolé pour tous ces anglicismes !) ou le temps où le gouvernement possède la capacité à maintenir le fonctionnement du gouvernement sans emprunts supplémentaires ou actions du Congrès dépend du solde de trésorerie disponible, des recettes entrantes et des obligations sortantes.

 

Cette buffer period qui mesure le moment où le gouvernement américain se retrouve à court d’argent est donc aujourd’hui non plus de quelques semaines mais bien à seulement quelques jours.

 

Ce raccourcissement de la buffer period est importante car si le Trésor dispose de suffisamment de liquidités pour dépasser le 15 juin, date à laquelle une importante tranche de recettes provenant de l’impôt sur les sociétés est attendue, il pourrait disposer de quelques semaines supplémentaires pour régler ses factures.

 

 

La pression sur le POTUS

Les dernières prévisions de Mme Yellen maintiennent la pression sur le président Biden et le Congrès pour qu’ils trouvent un accord sur la manière de relever le plafond de la dette avant que n’arrive la « X-date ».

 

Sans augmentation du « debt ceiling » par le Congrès, le gouvernement se retrouve alors dans l’incapacité de rembourser intégralement ses obligations financières, ce qui pourrait entraîner un défaut de paiement.

 

Pour faire face à la X-date, le Département du Trésor des États-Unis peut prendre des mesures extraordinaires pour retarder les échéances des paiements et préserver les liquidités. Ces mesures peuvent inclure la suspension de certains investissements, le déplacement de fonds entre les comptes gouvernementaux, ou le report de certains paiements. Cependant, ces actions ne sont que temporaires et ne résolvent pas le problème à long terme. La seule solution permanente est une augmentation du plafond de la dette par le Congrès afin de permettre au gouvernement de continuer à emprunter et à honorer ses obligations financières.

 

 

C’est grave Docteur ?

Le président Joe Biden a déclaré ce vendredi (comme tous les vendredis depuis 6 semaines !) que les négociations sur le plafond de la dette progressaient et que les discussions entre la Maison Blanche et le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, reprendraient mardi.

 

Mais il ne reste plus que quatre jours de session à la Chambre et au Sénat avant le 1er juin, date à laquelle la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a prévenu que le gouvernement américain pourrait se retrouver à court d’argent.

 

Si le Congrès ne prend pas rapidement des mesures pour relever ou suspendre la limite d’emprunt qu’il s’est lui-même imposée, le pays pourrait bientôt se trouver dans l’incapacité de payer ses factures.

 

D’abord et avant tout, cela aurait de graves répercussions sur les petites et moyennes entreprises.

 

En effet, un grand nombre de sociétés attendent toujours que leur crédit d’impôt mis en place pour encourager les employeurs à garder leurs employés pendant les périodes difficiles leur soit versé. Ces allocations ont souvent été une véritable bouée de sauvetage pour les petites et moyennes entreprises, souvent à hauteur de centaines de milliers de dollars.

 

Le service des impôts a accumulé un retard considérable : plus d’un million de dossiers attendent encore d’être traités. Si les États-Unis n’ont pas les moyens d’effectuer ces paiements et que de nouveaux retards surviennent, cela signifie que les entreprises ne pourront pas embaucher, ni même garder leurs portes ouvertes.

 

De plus, l’accès au crédit pourrait devenir plus difficile, ce qui aggraverait encore les difficultés auxquelles les particuliers et les entreprises font face depuis la crise bancaire de mars dernier.

 

Nous assisterons alors à un assèchement total du crédit pour les petites et moyennes entreprises, qui ont de plus en plus de mal à obtenir des prêts.

 

 

Après l’inflation, la récession ?

Mercredi soir, lors d’une réunion publique organisée par CNN, M. Trump a déclaré qu’un défaut de paiement serait préférable à un accord qui n’empêcherait pas le gouvernement de dépenser de l’argent comme des marins ivres (« spending money like drunken sailors » dans le texte de l’ancien président qui voulait peut être citer là son idole Ronald Reagan).

 

 

 

Le PDG de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, a vivement critiqué Donald Trump le lendemain de sa déclaration, affirmant que le candidat à la présidentielle de 2024 ne comprend pas grand-chose ni au plafond de la dette ni à ce qui est en jeu.

 

La question demeure encore et toujours de savoir qui pourra débloquer la situation. Et surtout si les dirigeants de banques et les membres de la communauté des affaires peuvent faire pression sur le Congrès et la Maison Blanche pour qu’ils parviennent à un accord.

 

Car les économistes et les chefs de file du Congrès affirment d’une même voix qu’un défaut de paiement prolongé nuirait à l’économie américaine, provoquant un chômage généralisé, une hausse des taux d’intérêt et une récession mondiale.

 

Un défaut de paiement de la dette américaine serait « potentiellement catastrophique », a déclaré Dimon jeudi. Il a ainsi déclaré à Bloomberg qu’il se réunissait une fois par semaine dans une « salle de crise » afin de préparer JPMorgan Chase, la plus grande banque des États-Unis, à l’éventualité d’un défaut de paiement. Depuis le 21 mai, ils se réunissent tous les jours.

 

« Plus on s’en rapproche, plus la panique s’installe. Les marchés deviendront volatils, peut-être que le marché boursier baissera, les marchés du Trésor auront leurs propres problèmes », a-t-il déclaré.

 

Dimon a également fait part de ses inquiétudes quant à la possibilité d’une révision à la baisse du rating des États-Unis, comme ce fut le cas en 2011.

 

« Nous devons de plus, mettre fin à la crise bancaire », a-t-il déclaré. « Nous avons eu une politique incertaine en matière de fusions, a-t-il ajouté, et je pense que nous devons supposer qu’il y en aura encore un peu plus. »

 

Mais c’est sur les ménages que la crise du plafond de la dette pourrait avoir des conséquences désastreuses.

 

En effet, il est clair qu’un défaut de paiement entraînerait une forte hausse des coûts d’emprunt, notamment des taux des cartes de crédit, des prêts automobiles et des prêts hypothécaires, qui, on le rappelle, sont la plupart du temps aux USA, puisque la dette américaine sert de référence essentielle pour toutes ces formes de crédit.

 

 

 

Certains économistes ont ainsi mis en garde contre des licenciements massifs en cas de défaut de paiement du gouvernement.

 

La Maison Blanche a estimé que plus de 8 millions d’emplois seraient supprimés en cas de défaut de paiement prolongé.