La CoCo Channel
Fabrice GUEZ
Consultant
Date : 27 mars 2023

La décision de la FINMA (l’Autorité Suisse de surveillance des marchés financiers) de ramener à zéro 16 milliards de francs suisses d’obligations du Credit Suisse, connues sous le nom de « Additional Tier 1 » ou plus souvent CoCo pour Contingent Convertible, dans le cadre de la fusion (ou du sauvetage, c’est comme vous voulez) de Credit Suisse avec UBS, a sérieusement ébranlé les marchés financiers cette semaine.

Dans le cadre de cet accord, les détenteurs d’obligations AT1 du Credit Suisse ne recevront donc absolument rien, tandis que les actionnaires qui possédaient des actions de Credit Suisse, qui ont généralement un rang inférieur à celui des détenteurs d’obligations en cas de faillite d’une banque ou d’une entreprise, se partageront les 3 milliards de francs suisses du rachat par UBS. C’est-à-dire 0,76 CHF par action.
Ce n’est pas grand-chose mais c’est quand mieux que rien.

 

Pour tous ceux qui comme moi enseignons la « Capital Structure », de voir tout ce que nous pensions vrai sur la structure de capital d’une banque, c’est-à-dire que les détenteurs d’obligations sont remboursés avant les actionnaires, vient de tomber en une seule décision de la FINMA.
Mais d’abord un peu d’explication.

 

Qu’est-ce qu’une CoCo ?

Les CoCos représentent un secteur obligataire de 275 milliards de dollars. Elles servent d’amortisseurs si les niveaux de fonds propres d’une banque tombent en dessous d’un certain seuil fixé à l’avance. Elles peuvent être alors converties en actions, le cas le plus usuel, ou annulées, comme c’est donc aujourd’hui le cas avec celles de Credit Suisse.

Puisqu’elles peuvent être converties en capital si les marchés deviennent turbulents, elles constituent une partie du coussin de capital que les régulateurs exigent des banques pour les soutenir.
Si les CoCos sont converties en actions, elles soutiennent le bilan de la banque et augmentent naturellement leurs fonds propres et soignent le ratio de fonds propres déficients. Elles sont donc un moyen pour les banques de transférer les risques aux investisseurs et non aux contribuables en cas de crise majeure.

Ce sont des obligations perpétuelles, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de date de remboursement prévue, mais elles sont « callables », ce qui veut dire qu’elles peuvent être remboursées par leur émetteur au bout d’une certaine période de détention.
Tout cela nous montre bien que ce sont les obligations les plus risquées qu’une banque puisse émettre et son coupon est donc extrêmement élevé. Celles de Credit Suisse portaient d’ailleurs un coupon de 9,25%

Tu as les boules CoCo !

Comme toutes les obligations, les CoCos ont un rang plus élevé que les actions dans la structure du capital d’une banque. Si une banque est en difficulté, les détenteurs d’obligations auront plus de chances de récupérer leur argent que les actionnaires.

Mais pas en Suisse !

En effet, dans la confédération, les conditions de l’emprunt stipulent qu’en cas de restructuration, l’autorité de surveillance financière n’est pas tenue de respecter la structure traditionnelle du capital, ce qui explique que les détenteurs d’obligations aient été perdants dans la situation du Credit Suisse.
Les détenteurs de CoCos du Credit Suisse sont donc les seuls à ne recevoir aucune compensation !
Dans le cadre de l’accord de sauvetage, ils sont donc moins bien placés que les actionnaires de la banque, qui peuvent au moins obtenir le prix de rachat d’UBS, soit 0,76 franc suisse par action.

Les perdants

Certains des plus grands noms de la place ont ainsi perdu des centaines millions de dollars à la suite du write off. Pimco et Invesco ont tous deux subi des pertes massives. Selon Bloomberg, Pimco détenait plus de 800 millions de dollars de CoCos de Credit Suisse lorsque la banque a été sauvée, Invesco environ 350 millions de dollars. BlackRock aussi en détenait également autour de 100 millions de dollars à la fin du mois dernier, mais pour le géant de l’Asset Management cela ne représente pas grand-chose comparé au montant de leur actifs sous gestion.
Dix fonds individuels tels First Trust, Nuveen et Vanguard avaient également investi plus de 100 millions de dollars et étaient également très exposés aux obligations CoCo.

Une révolution ?

Ce n’est pas la première fois que le traitement des CoCos suscite la controverse. Un litige portant sur l’annulation d’environ 1 milliard de dollars de émises par la Yes Bank indienne en mars 2020 fait actuellement l’objet d’une procédure judiciaire.
Les régulateurs européens ont voulu rassurer quant à la hiérarchie des remboursements et ont déclaré qu’ils continueraient à faire comme d’habitude, c’est-à-dire imposer des pertes aux actionnaires avant les détenteurs d’obligations. Pareil pour la Banque d’Angleterre qui a déclaré disposer d’un ordre statutaire clair quant à la priorité des défauts.

Quelles conséquences ?

Bien que les actions de la FINMA soient absolument légales, les investisseurs institutionnels qui forment l’immense majorité des détenteurs de ces obligations, ont été choqués par l’anéantissement totale de leur investissement. Mais bon,
on ne fait d’omelette sans casser des œufs et on ne peut pas toucher des coupons de près de 10% sans prendre de risques.
Mais pour le marché bancaire, les conséquences sont plus graves.
En raison de la panique des investisseurs, le prix de leurs obligations AT1 a chuté, entraînant une forte hausse des rendements, qui craignaient que leurs obligations, censées offrir une meilleure protection que les actions, ne subissent le même sort.

 

La décision d’annuler les CoCos va forcément avoir des implications profondes pour les réglementations bancaires mondiales, puisque les investisseurs seront beaucoup plus prudents à l’avenir en ce qui concerne l’achat ce type de titres, ce qui compliquera la tâche des banques qui doivent lever des fonds sur les marchés obligataires pour satisfaire aux exigences réglementaires.
Les prix des CoCos, en particulier celles de Deutsche Bank, se sont écroulés cette semaine.
Ainsi, la Deutsche Pfandbriefbank ne remboursera pas leurs CoCos pour une valeur de 200 millions d’euros lorsque leur fenêtre de remboursement expirera le 28 avril.
L’opération va pourtant être coûteuse pour la banque. La banque payait jusque-là un coupon fixe de 5,75%. Puisqu’elle ne lever l’option, elle devra payer maintenant le taux de swap 5 ans plus un spread de 5,383% soit pas loin de 8,25 % !