Déjeuner en paix
Fabrice GUEZ
Formateur - First Finance
Date : 02 octobre 2023

Déjeuner en paix

 

Il faut quand même apprécier le fantastique numéro d’équilibriste que nous a joué notre Ministre des Finances Bruno Lemaire mercredi 27 septembre.

Comme tous les derniers mercredis de septembre, et pour la 7e fois depuis 2017, Bruno Lemaire est venu présenter au Conseil des Ministres, et accessoirement à la presse économique, le Projet de Loi de Finances (PLF) pour 2024. Il est important de souligner que depuis six ans que Mr Lemaire est au ministère des finances, il n’avait encore jamais réussi à baisser la dépense publique. Mais remarquons aussi que ses prédécesseurs à Bercy n’avaient pas été plus heureux dans ce domaine.

Et, comme tous les ans, les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent.

 

Pourtant la communication se veut rassurante, voire parfois louangeuse (« Maîtriser la dépense pour investir dans l’avenir » est par exemple le titre du document de 119 pages qui présente le Projet). Et on peut lire dans les propos liminaires du ministre « Cette résistance de notre économie s’explique par la solidité des fondamentaux de l’économie française et par la politique de protection que nous avons menée face à l’inflation durant l’année écoulée».

 

De plus, dans le fameux rapport du PLF, les dépenses de l’État sont annoncées en recul de 4 milliards d’euros, ce n’était plus arrivé depuis 2015.

 

Encore un peu et nous aurions l’impression que nous sommes revenus à l’équilibre budgétaire. Ce n’est évidemment pas le cas. Et, en y regardant de plus près, les chiffres ne prêtent pas au plus grand optimisme.

 

Si, comme attendu, le PLF 2024 induit un déficit en baisse par rapport à 2023, c’est avant tout parce que devant les multiples critiques de la gestion des finances publiques du gouvernement, il n’y avait pas d’autres choix que de présenter un déficit en baisse.

 

Ce déficit est tout de même prévu à 4,4 % du PIB, alors qu’il atteint près de 5 % en 2023.

 

Alors oui c’est mieux

 

Mais, on ne va quand même pas déboucher le champagne en voyant le déficit culminer encore à 144 milliards même si c’est un (petit) progrès.

 

La trajectoire des finances publiques

Le déficit diminue et respecte la trajectoire du programme de stabilité, malgré un environnement macroéconomique incertain.

 

En gros c’est moins catastrophique que 2023, mais bon 144 milliards c’est quand même une bonne cinquantaine de milliards au-dessus des objectifs de stabilité affiché en début de quinquennat.

Surtout, cet objectif de 4,4 % de ratio déficit / PIB comprend une anticipation de croissance marquée (espérée à 1,4 % pour 2024) avec une inflation revenue à 2,6 %.

 

Le contexte macroéconomique

La croissance demeurerait solide en 2023 (+1,0%) et l’activité accélérerait en 2024 (+1,4%) sur fond de reflux de l’inflation.

 

Pourquoi pas ?

 

Les chiffres de l’inflation de jeudi 28/09 en Allemagne et de vendredi 29/09 en Europe montrent d’ailleurs un fort ralentissement de l’inflation au plus bas depuis deux ans.

 

Mais c’est loin d’être gagné et le HCFP (Haut Conseil des Finances Publiques) a prévenu que ce scénario n’était pas celui qui était le plus probable dans notre contexte économique.

 

L’État doit en effet à tout prix réduire sa dette, mais le contexte inflationniste complique la chose. Le ministre a assuré que ce nouveau PLF permettrait d’avancer vers le désendettement de la France.

 

Pour ramener le déficit de 4,9 % à 4,4 % du PIB en 2024, le gouvernement prévoit 16 milliards d’économies, principalement sur les boucliers énergétiques. Ainsi, 10 des 16 milliards d’économies proviendront de l’extinction progressive, d’ici à la fin 2024, du bouclier tarifaire pour l’électricité permettant d’alléger les factures. S’y ajouteront notamment les réductions des aides aux entreprises (environ 4,5 milliards).

 

Autant dire qu’à l’assemblée, les débats seront houleux sur ces économies et il n’y aura pas besoin de souffler sur les braises pour qu’elles prennent.

Autant dire que le 49.3 est une quasi-certitude pour l’adoption de ce budget.

 

Est-ce que tout va si mal ? Est-ce que rien ne va bien ?

Le chiffre le plus inquiétant semble tout de même être les 285 milliards d’euros de dette à lever sur les marchés.

On se pose la question de pourquoi il faut augmenter le montant levé sur le marché lorsque le déficit est en baisse. En réalité, en 2023, les chiffres étaient déjà remarquables, avec un emprunt record de 270 milliards de dollars par le Trésor français.

 

Alors pourquoi ?

 

D’une part, l’État devra amortir l’an prochain un montant de dette arrivé à échéance de 160 milliards d’euros, contre 150 milliards en 2023. On va donc emprunter 285 pour rembourser 160 soit une création de dette pure de 125 milliards d’euros.

De plus, les dernières années le trésor avait allégrement pioché dans ses réserves : le fameux trésor de guerre qu’on retrouve sous la dénomination « variation des disponibilités du trésor » dans le PLF : 35 milliards en 2021, 24 en 2022, 27 en 2023.

Cette fois on ne pioche plus dans la caisse (reste-t-il encore quelque chose dans les disponibilités ?) mais on va aller emprunter la totalité sur les marchés.

Ennuyeux, lorsque le recours à la levée de dette sur les marchés financiers implique un remboursement d’intérêts particulièrement élevé dans les années à venir, lié au relèvement des taux directeurs par les banques centrales pour lutter contre l’inflation.

En 2023, le taux d’intérêt moyen de la dette française s’élevait jusqu’ici à 2,95 %, contre 1,40 % en 2022, après des années de taux négatifs.

Un serrage de ceinture assez relatif

L’exécutif a notamment beaucoup parlé d’économies mais le résultat est toujours très timide. D’autant plus que le portefeuille s’est assez ouvert pour d’autres secteurs et que les économies structurelles ne sont toujours pas au rendez-vous de ce budget.

 

Le budget pour 2024 marque ainsi une nouvelle hausse des effectifs de l’État avec près de 8 300 postes supplémentaires.

 

Après une augmentation de plus de 10 000 emplois au titre du PLF en 2023, le prochain budget poursuit sur la même lancée avec une progression de 8 273 postes crées en 2024.

 

Nous avons ainsi en France une fonction publique qui est deux fois plus lourde que celle de nos voisins européens et en 30 ans, le nombre de fonctionnaires est passé de 3,8 millions à 6 millions, soit une augmentation nette de 58%.

 

Si l’on compare avec l’Allemagne, le nombre de fonctionnaires n’y représente que 11 % de la population, contre 22% chez nous. Difficilement justifiable dans un budget de fin d’abondance.

De plus, l’État va mettre en œuvre une série de revalorisations automatiques, calquées sur la hausse des prix : hausse des pensions de retraite de 5,2 % dès janvier et augmentation des prestations sociales, remise à niveau du niveau des tranches de l’impôt sur le revenu, pour éviter que les ménages, dont le salaire n’a pas augmenté au moins autant que l’inflation, ne soit perdants.

 

Tout ça mis bout à bout, on arrive tout de même à 25 milliards d’euros.

 

Évidemment ce n’est pas la voie souhaité par certains et les réactions ne se sont pas faire attendre longtemps. D’autant que le gouvernement n’aura plus le choix à l’avenir s’il veut tenir ses engagements financiers. En effet, en 2024 le gouvernement économisera 16 milliards avec la levée des boucliers énergétiques aidé en cela par l’accalmie sur les prix du gaz.

 

Mais avec 12 milliards d’euros de dépenses en moins à trouver chaque année jusqu’en 2027, il n’y a plus beaucoup de réserves à débrancher pour revenir à l’utopique équilibre promis.