Entre exigences réglementaires, attentes sociétales et défis liés au changement climatique, les entreprises sont appelées à repenser leur manière de mesurer et de communiquer leurs impacts. Dans ce contexte, la notion de double matérialité s’impose comme un cadre incontournable.
Longtemps centré sur la seule matérialité financière, le reporting s’est progressivement élargi pour intégrer les dimensions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). La directive européenne CSRD, soutenue par les normes ESRS, en a fait une obligation : les entreprises doivent désormais évaluer à la fois l’effet des enjeux ESG sur leurs performances financières et l’impact de leurs activités sur la société et l’environnement.
Cet article décrypte le concept de double matérialité, son origine et ses implications réglementaires. Nous verrons comment construire une matrice de double matérialité, impliquer la consultation des parties prenantes et identifier la liste des enjeux prioritaires. Une approche indispensable pour produire un rapport de durabilité pertinent, aligné avec les standards internationaux tels que la Global Reporting Initiative (GRI), et répondre aux défis du long terme.Pour en savoir plus sur la CSRD, suivez la formation professionnelle Initiation à la Finance durable : CSRD et taxonomie de First Finance.
En résumé
Définition | La double matérialité combine deux perspectives :- Matérialité financière (Outside-In) : comment les enjeux ESG influencent la performance économique de l’entreprise.- Matérialité d’impact (Inside-Out) : comment les activités de l’entreprise affectent la société et l’environnement. |
Cadre réglementaire | – NFRD (2014) : première obligation de reporting non financier en Europe.- Supplément climat (2019) : introduction explicite de la double matérialité.- CSRD (2022) : la double matérialité devient obligatoire, mise en œuvre via les normes ESRS (2023). |
Entreprises concernées et calendrier d’application | – Dès 2024 : entreprises déjà couvertes par la NFRD.- Dès 2025 : grandes entreprises (≥250 salariés, CA > 40 M€, bilan > 20 M€).- Dès 2026 : PME cotées (avec option de report de 2 ans).- Dès 2028 : entreprises non européennes avec CA > 150 M€ dans l’UE. |
Méthodologie | – Analyse interne : collecte de données et construction d’outils d’évaluation.- Consultation des parties prenantes : questionnaires, ateliers, entretiens.- Matrice de double matérialité : représentation visuelle croisant matérialité financière et d’impact. |
Qu’est-ce que la double matérialité ?
Le concept de double matérialité s’articule autour de deux perspectives complémentaires : la matérialité financière et la matérialité d’impact. Cette approche bidirectionnelle est au cœur du reporting extra-financier moderne, car elle met en lumière à la fois ce qui menace l’entreprise et ce que l’entreprise génère comme effets sur son environnement au sens large.
- Matérialité financière (vision « Outside‑In ») : La matérialité financière analyse comment les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) influencent directement ou indirectement la performance économique de l’organisation.
Objectif : comprendre les risques et opportunités liés aux enjeux de durabilité qui peuvent modifier la valeur de l’entreprise, sa rentabilité, son accès aux financements ou encore sa réputation.
- Matérialité d’impact (vision « Inside‑Out ») : La matérialité d’impact évalue la manière dont les activités de l’entreprise influencent la société, les écosystèmes naturels et les communautés. Elle est ancrée dans la logique du développement durable, qui exige des entreprises qu’elles mesurent et assument leurs externalités, qu’elles soient positives ou négatives, susceptibles d’avoir un impact sur les performances financières de l’entreprise, à court, moyen ou long terme. Ces aspects influencent la valeur, la rentabilité ou la capacité financière de l’organisation.
Objectif : identifier les enjeux de durabilité liés aux impacts sociétaux et environnementaux des opérations, de la chaîne de valeur et des produits ou services.
Ensemble, ces deux approches permettent de dresser une matrice de double matérialité, qui met en lumière les priorités stratégiques : les enjeux qui sont à la fois déterminants pour la santé financière de l’entreprise et cruciaux pour la société et l’environnement.
Origine et réglementation
Les débuts de la double matérialité :
Issu initialement du monde du reporting financier (matérialité classique), le concept de matérialité a évolué vers un format élargi comprenant les standards RSE, notamment avec la Global Reporting Initiative (GRI), qui encourage depuis 2006 à identifier et valoriser dans le reporting extra-financier les thèmes les plus pertinents en matière de développement durable.
C’est avec la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) que la double matérialité devient une obligation réglementaire. Elle s’appuie sur les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) pour formaliser ses deux dimensions.
Les évolutions réglementaires :
En Europe, la Non-Financial Reporting Directive (NFRD) a constitué une première étape en introduisant en 2014 l’obligation de publier des informations non financières, basées sur des cadres volontairement reconnus comme la GRI.
La notion de double matérialité a été formalisée pour la première fois dans un supplément relatif au climat à la NFRD en 2019, accentuant la dimension environnementale du reporting.
Adoptée en 2022, la directive européenne dite CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) impose l’analyse de la double matérialité comme obligation légale pour une vaste gamme d’entreprises.
Concrètement, dès janvier 2024, les premières entreprises soumises à la NFRD doivent produire un rapport de durabilité structuré suivant les nouvelles normes européennes ESRS (European Sustainability Reporting Standards), élaborées en lien avec le CSRD, et qui cadrent précisément la double matérialité.
Les ESRS, votées en octobre 2023, détaillent les exigences de divulgation (Disclosure Requirements) pour les trois axes ESG, toujours sous le prisme de la double matérialité.
Quelles sont les entreprises concernées par la double matérialité ?
La mise en œuvre de la CSRD est progressive, afin de laisser aux entreprises le temps de s’adapter aux nouvelles obligations. Voici les principales échéances fixées par la Commission européenne :
- À partir du 1er janvier 2024 (publication des rapports en 2025) :
Les entreprises déjà soumises à la NFRD (environ 11 000 grandes sociétés européennes, dont la plupart des sociétés cotées et établissements financiers). - À partir du 1er janvier 2025 (publication des rapports en 2026) :
Toutes les grandes entreprises européennes qui remplissent au moins deux des trois critères suivants :
- plus de 250 salariés,
- un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros,
- un total de bilan supérieur à 20 millions d’euros.
- plus de 250 salariés,
- À partir du 1er janvier 2026 (publication des rapports en 2027) :
Les PME cotées sur un marché réglementé de l’UE (sauf micro-entreprises), avec une option de report de deux ans pour leur première déclaration. - À partir du 1er janvier 2028 (publication des rapports en 2029) :
Les entreprises non européennes générant plus de 150 millions d’euros de chiffre d’affaires dans l’Union européenne et disposant d’au moins une filiale ou succursale significative sur le territoire européen.
Ce calendrier montre que la double matérialité deviendra, à court terme, un passage obligé pour une grande majorité d’entreprises opérant en Europe, qu’elles soient locales ou internationales.
Objectif et intérêts d’une étude de matérialité
Réaliser une telle analyse répond à plusieurs objectifs cruciaux :
- Identifier les risques et opportunités liés aux enjeux ESG pouvant influer sur la santé financière de l’entreprise ou générer de la valeur.
- Préparer un reporting extra‑financier pertinent et concentré sur les enjeux réellement significatifs, améliorant la transparence.
- Répondre aux attentes réglementaires (CSRD, normes ESRS), mais aussi sociétales – en particulier autour du développement durable et du changement climatique.
- Hiérarchiser, en fonction du secteur d’activité, de la taille de l’entreprise, et de ses parties prenantes, les enjeux à traiter prioritairement.
Comment construire une matrice de double matérialité ?
Étapes clés (méthodologie ESRS / bonnes pratiques)
- Analyse interne
- Identifier les enjeux de durabilité internes et liés à la chaîne de valeur selon les catégories ESRS (changement climatique, eau, biodiversité, etc.).
- Recueillir les données existantes (rapports, indicateurs, information financière et extra‑financière).
- Construire des outils d’évaluation (grilles de scoring) pour évaluer la matérialité financière et la matérialité d’impact.
- Identifier les enjeux de durabilité internes et liés à la chaîne de valeur selon les catégories ESRS (changement climatique, eau, biodiversité, etc.).
- Consultation des parties prenantes
- Cartographier les parties prenantes : internes, externes, affectées ou utilisateurs de l’information.
- Définir les questions à soumettre, via questionnaires, entretiens ou ateliers.
- Recueillir et analyser leurs perceptions pour ajuster l’analyse.
- Cartographier les parties prenantes : internes, externes, affectées ou utilisateurs de l’information.
- Consolider la matrice
- Intégrer les feedbacks pour ajuster l’analyse interne.
- Représenter visuellement la matrice de double matérialité : axes abscisse (matérialité financière), ordonnée (matérialité d’impact).
- Valider les priorités avec la direction.
- Intégrer les feedbacks pour ajuster l’analyse interne.
Utilité de la matrice
Elle permet de repérer rapidement les enjeux majeurs (en haut à droite : à la fois fortement impactants et financièrement significatifs) et ceux qui méritent une attention secondaire.
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La mise en œuvre de la CSRD et l’obligation d’analyse de la double matérialité représentent un enjeu majeur pour toutes les entreprises concernées. Comprendre les normes ESRS, identifier les axes ESG prioritaires et construire un rapport de durabilité conforme nécessitent des compétences solides et actualisées.
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Conclusion
Le concept de double matérialité et la matrice associée sont des leviers stratégiques incontournables : ils permettent aux entreprises de structurer efficacement leur reporting extra-financier, d’aligner leur stratégie sur les enjeux ESG prioritaires, de répondre aux obligations CSRD et de démontrer leur engagement pour un développement durable crédible.
FAQ
Qu’est-ce que le concept de double matérialité ?
C’est une approche qui combine la matérialité financière (effets des enjeux ESG sur la performance de l’entreprise) et la matérialité d’impact (effets des activités de l’entreprise sur la société et l’environnement)
Qu’est-ce que le principe de matérialité ?
Originaire du reporting financier, ce principe désigne une information jugée matérielle si elle peut influencer les décisions des investisseurs ou analystes. Transposé en RSE, il permet de cibler les enjeux ESG prioritaires à inclure dans un rapport extra‑financier.
Quelle réglementation a introduit le concept de double matérialité ?
La double matérialité a été formalisée implicitement dans la NFRD (notamment pour le climat en 2019), mais elle devient obligatoire avec la directive CSRD, adoptée en 2022 et applicable progressivement à partir de 2024.
Quelle est la définition de la Directive CSRD ?
La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) est une directive européenne (UE 2022/2464) qui impose aux entreprises d’établir un reporting de durabilité structuré, comprenant notamment une analyse de double matérialité, des normes ESRS, et une vérification indépendante. Elle vise à renforcer la comparabilité et la fiabilité des données ESG publiées.
Quel est l’objectif d’une étude de matérialité ?
L’objectif d’une étude de matérialité est d’identifier et de hiérarchiser les enjeux de durabilité pertinents pour l’entreprise à la fois sur le plan financier (risques, performances financières) et d’impact (sociétal, environnemental), afin de concentrer la stratégie, le reporting extra‑financier et répondre aux attentes des parties prenantes.